UN COUP DE GENE JAMAIS N’ABOLIRA LE HASARD
Entretien avec le professeur Jacques Testart. Paru dans L’Humanité. décembre 1999
Au moment où, à longueur de
colonnes et à coups de shows télévisés, on célèbre la «révolution
génétique» qui serait censée, à court terme, libérer l’humanité de la
fatalité des maladies par la «thérapie génique», un chercheur, et pas
des moindres, - il s’agit de Jacques Testart (1) -, y dénonce une
énorme usurpation jouant sur les angoisses et les espoirs du grand
public pour drainer les milliards d’investissements publics et privés
vers une recherche technologique fort éloignée de l’intérêt médical
mais qui aurait pour conséquence de réduire les infinies
caractéristiques humaines en autant de parts de marché dûment
répertoriées et livrées à la concurrence sans frein des détenteurs et
exploitants des milliers de brevets déposés sur le génome humain:
multinationales pharmaceutiques, laboratoires de diagnostics,
fabricants de tests, compagnies d’assurance, employeurs, etc. Il y
voit une renaissance de l’eugénisme qui, au début du XXème siècle
avait nourri les nombreuses théories sur l’inégalité humaine; mais
cette fois une eugénisme nettoyé de ses scories idéologiques ou
religieuses, politiquement correct et idéologiquement neutre, un
eugénisme de marché en quelque sorte, caractérisant l’homme normal
«par défaut» et non plus par «excès» de qualités: l’idéal de Robert
Musil, ratifié au nom d’une pseudo Science élevée en parangon de la
modernité.
Biologiste, directeur de recherche à l’INSERM où nous l’avons rencontré, consultant du Comité consultatif national d’ethnique, «père» du premier «bébé éprouvette», jacques Testart avait déjà brisé le consensus sur la recherche biologique, en 1988, par sa démission fracassante des responsabilité qu’il assumait alors dans ce domaine. Aujourd’hui il dénonce la poudre aux yeux qui cache la réalité des développements de la génétique moléculaire.
A commencer par l’illusion sur la «science» elle-même: «Je ne veux plus parler de la science, car ce que l’on a, c’est une techno science, c’est à dire un truc monstrueux qui se sert de la science acquise pour produire de la technologie. Les chercheurs qui font croire que la recherche, aujourd’hui c’est la poésie, la soif de connaître, se moquent du public. Le métier de chercheur est de plus en plus un métier de technicien supérieur, ou il a très peu de liberté d’innovation parce qu’il doit chercher là où ça parait utile à ceux qui l’emploient. Depuis nos trois Nobel, Jacob, Monod et Lwoff, en 1965, c’est à dire la découverte de l’ADN et de son fonctionnement, - et ça, c’était de la recherche fondamentale -, on ne peut pas dire que la biologie ait produit des concepts nouveaux. Ce qu’elle a produit, c’est des outils et ce qui a progressé, ce n’est pas l’intelligence mais la puissance d’action. » C’est là que Jacques Testart relève la deuxième entourloupe, dans l’illusion entretenue de thérapie génique. «Ca ne marche pas, martelle-t-il. Je souhaiterais être démenti demain, mais la génétique ne guérit pas, et ça, on ne le dit pas, alors qu’il y a des investissements colossaux, à la fois idéologiques, -dans le société -, et matériels, dans les centres de recherche et les industries privées. La seule façon de récupérer ces investissements, c’est du côté où ça marche, c’est à dire le diagnostic, et pas le traitement. »
Or, le diagnostic n’a de sens que s’il est prénatal ou, - et c’est le domaine de prédilection de Testart -, préimplantatoire dans le cas de la procréation assistée, dont la pratique se généralise pour pallier la stérilité des couples, à 60% d’origine masculine. Dès lors que la culture d’ovules en grand nombre serait rendue possible, le diagnostic génétique préimplantatoire ouvrirait la porte à une véritable sélection eugénique en masse des embryons: en vertu de quels critères? «Qu’est-ce qu’un enfant normal, dès lors que nous sommes tout un peu tordus » interroge-t-il. Il n’y a, il est vrai, pas de mesure scientifique de la santé. Quel embryon «normal» gagnerait il alors le label de la génétique?
«Cette aspiration de la recherche médicale par les exigences du marché diagnostique génétique est un des effets de l’impuissance médicale. Le diagnostic n’est pas fait pour savoir ce qui va arriver mais ce qui pourrait, éventuellement, se produire. C’est l’homme probable. Il y a dans ce domaine un marché énorme, la multiplication d’actes médicaux de plus en plus chers, les industries qui fabriquent les sondes génétiques, plein de boites qui sont en train de développer des batteries de tests pour identifier, pas forcément sur l’embryon, des caractéristiques génétiques... Dès que ce système de tests génétiques sera opérant, il va y avoir un appel d’offre terrible avec ce discours: on n’a pas le droit de faire un enfant du hasard. On va prétendre que la science peut permettre d’avoir un enfant qui n’a pas de maladies, sans parler de la couleur des yeux. Or cette idée de supprimer le hasard, c’est une illusion. Le génome ne définit pas le destin de la personne. Il y a toute une confusion entretenue avec cette fable du programme qui serait dans les gènes. » Le rôle du gène dans l’occurrence des maladies les plus répandues? «A part quelques rares maladies mono géniques, quinze ou vingt dont la mucoviscidose ou les myopathies, on ne peut rien prédire » car pour qu’une pathologie se déclare il y faut la combinaison de plusieurs facteurs génétiques ( sur 100000 gènes), eux-mêmes combinés avec des facteurs extra génétiques. Les risques sont infinis et c’est pour cela aussi que la génétique ne peut pas guérir. L’intérêt du diagnostic alors? « C’est d’établir une vérité statistique, qui n’est jamais vraie à l’échelle d’un individu » mais dont l’intérêt économique, et non médical, saute aux yeux. Il suffit de penser aux assureurs, tout prêts à fournir le modèle acceptable de cet «homme probable».
En attendant, on brevette donc, à
tour de bras, gène après gène. Les Américains en ont déjà déposé près
de 4000, les Japonais tout autant, et quel que soit le sérieux que
Testart reconnaît aux positions françaises en matière d’éthique et de
précaution, il souligne qu’elles sont de peu de poids devant la
mondialité des marchés qui s’ouvrent, et la philosophie des pays qui en
sont les principaux acteurs. Alors, il rue dans les brancards et son
livre est salubre, instructif, convainquant, et surtout, il permet de
garder la tête froide devant les promesses d’un avenir où un coup de
gène abolirait le hasard.
Entretien réalisé par Gilles de Staal [note] (1) Jacques Testart: Des hommes probables (de la procréation aléatoire à la reproduction programmée) Edition du Seuil, 279 pages, 120F.
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