LES NOUVEAUX MOUVEMENTS SOCIAUX EN FRANCEPar Isaac Johsua
Qu’est-ce qui apparaît réellement nouveau ? D'abord le caractère multiforme de ces nouveaux mouvements. Le capitalisme est en quelque sorte « encerclé », il est remis en cause de nombreux côtés à la fois (sont dénoncés l’exploitation, mais aussi la destruction de l’environnement, le mépris des droits des peuples, l’absence de démocratie, etc). La contestation perd en force concentrée, mais gagne en surface, s’infiltre partout. L’action pour un autre monde ne se réduit pas à une lutte pour « des lendemains qui chantent » ; elle se traduit ici et maintenant par une action pratique pour des changements immédiats (coopératives, réinsertion des jeunes, ..). Avantage du concret, mais avec l’illusion de la « subversion par en bas ». Diversité également des composantes sociales, avec un caractère d’emblée interclassiste, les syndicats n’étant que l’une des franges du mouvement, de surcroît tardivement insérée. Ce qui est à la fois une richesse et un problème. L’autonomie est revendiquée. Il s’agit de se prendre en charge, sans avoir besoin de directives particulières pour agir. Le travail se fait par consensus, ce qui n’exclut nullement les débats, mais écarte une homogénéisation poursuivie coûte que coûte. Ainsi, au sein des groupes, la recherche de solutions peut se poursuivre par tâtonnements. Entre groupes, un vaste terrain est couvert, la contrepartie étant que les projets se situent côte à côte sans nécessairement s’articuler entre eux. La mondialisation fait que désormais la planète se vit comme un tout. Ce qui provoque replis identitaires, communautaires, etc… mais amène également une partie du mouvement à assumer des combats à portée d’emblée internationale. Cela donne aux luttes nationales une « portance » dont nous n’avions plus bénéficié depuis longtemps. L’exemple comparable remonte au mouvement anti-impérialiste (Vietnam, etc..) et encore s’agissait-il alors de soutien à des luttes menées ailleurs et par d’autres et non d’une participation active à un mouvement où l’on se sent directement impliqué.
Comment expliquer le surgissement de ces nouveaux mouvements? 1) le
recul (numérique, politique, social) du mouvement ouvrier, qui entraîne
éclatement, éparpillement,… 2) ceux pour qui on peut voter ne sont pas
vraiment ceux qui décident, et ceux qui décident (technocrates de
l'Union européenne, multinationales, Washington, FMI, OMC, etc) ne sont
pas soumis au vote. Il faut donc s'emparer de la politique par d'autres
biais 3) la gauche aussi cède à la mondialisation libérale: il faut
donc regarder ailleurs et faire "du concret". Quelles sont les limites les plus importantes ? D’abord, l’incapacité à dessiner un modèle qui soit à la fois d’ensemble et alternatif. C’est-à-dire : 1) qui ne soit pas la simple juxtaposition de projets partiels et inarticulés 2) qui dise comment l’autre monde peut fonctionner. Cette dernière faille est de loin la plus importante, car elle découle d’une faiblesse fondamentale de la période : il n’y a plus d’horizon socialiste crédible, la chute de l’URSS n’a pas marqué seulement la fin du stalinisme mais aussi l’effondrement de deux siècles de réflexion sur la société à bâtir. Cela accentue le caractère Arlequin du mouvement, puisqu’on n’est pas contraint de réfléchir à la compatibilité des différents combats. Le mouvement est éclaté, se situant à des niveaux très divers de radicalisation, depuis l’ONG réclamant telle ou telle mesure partielle jusqu’aux organisations révolutionnaires. Au sein même des courants véritablement contestataires, le plus petit commun dénominateur est l’anti-libéralisme et non l’anti-capitalisme. La faible implication des nouveaux mouvements sociaux dans et autour des luttes ouvrières est, de ce point de vue, symptomatique. En France (peut-être en Europe ?) on peut constater une faible pénétration dans les milieux populaires, ce qui renvoie à un incontestable recul de la centralité des luttes ouvrières, recul dont il est difficile de dire pour l’instant s'il n’est que conjoncturel ou s'il traduit quelque chose de plus profond. Enfin, les problèmes de démocratie interne sont assez largement répandus et particulièrement préoccupants. Les risques qui en découlent sont importants. Le premier est l’épuisement de l’impact contestataire du mouvement (par dissolution ou intégration), du fait d’une incapacité à dessiner un débouché, même partiel, alors que nous sommes face à un système, sans doute traversé de contradictions, mais fortement structuré, avec les Etats-Unis comme hyper-puissance incontestée, tenant les rênes des grandes organisations internationales et une série de puissances moyennes, nombreuses mais vassalisées. Le second risque est celui d'explorer malgré tout une voie moyenne, mais dans des conditions telles de rapport de force et d’absence de véritable projet alternatif que le résultat déçoive profondément (Lula ?). Enfin n’oublions pas qu’on peut sortir de la mondialisation libérale par le haut (proposer une autre mondialisation) mais également par le bas (repli localiste, sectoriel, etc). Comment envisager un saut qualitatif ? De tous les obstacles recensés, le plus important est certainement celui de l’incapacité à définir une alternative crédible, peut-être pas « socialiste », mais en tous les cas qui rompe véritablement avec la logique libérale. Il n’est pas impossible que le mouvement parvienne, de forum en forum, à délimiter un champ d’accord. Outre cet espoir (aléatoire), une responsabilité particulière échoit aux militants révolutionnaires, organisés ou pas. Il s’agit : 1) de travailler à l’élaboration d’une telle alternative, en partant bien évidemment des exigences déjà mises en avant par les mouvements sociaux eux-mêmes (quelle gouvernance mondiale ? quelle Europe ? quelle ouverture des frontières ? disparition ou pas des marchés financiers ? quelles politiques économique, sociale ? etc) 2) de faire apparaître (par la recomposition des organisations existantes, par des initiatives communes, etc) un véritable pôle de la gauche radicale, anti-libérale, et ce, en particulier, au niveau européen. Du côté des
partis politiques
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