Pierre Zarka :
Après le 29 mai ?
(Ce que j’attends personnellement de la réunion de Convergence
Citoyenne pour une Alternative à Gauche (CCAG)).
Sans aplatir les enjeux du référendum dont l’issue déterminera
la dynamique politique qui suivra et donc l’acuité avec laquelle
les question d’alternative se poseront, je crois que l’on peut dire
que de toute façon, la nature des problèmes politiques sera la
même d’autant que le NON ne sera pas laminé ni ne fera de
la figuration et qu’il résultera d’une mobilisation politique
qui s’affranchit même si ce n’est encore que partiel, de la
tutelle de la vie politique institutionnelle. Une expérience collective
nouvelle émerge.
Des collectifs du Non s’interrogent déjà sur comment continuer
le combat anti- libéral après le 29 mai ; le PC envisage de poursuivre
la démarche suivie depuis plusieurs mois dans chaque localité,
en incluant dans le mouvement de rassemblement possible le dispositif qu’il
avait initialement prévu, il se réunira le 11 juin ; les Alternatifs
sont disponibles, la LCR est dans un débat qui témoigne qu’elle
est entre l’expérience des collectifs unitaires du NON et une aspiration
à affirmer son appareil en dehors du rassemblement, des pans entiers
des verts et du PS vont se chercher ; un nombre nouveau de syndicalistes auront
fait l’expérience d’avoir partagé un combat politique
même si l’on connaît les limites de l’engagement des
organisations en tant que telle.
Je pense que nous devrions travailler à préciser ce que nous attendons
des échéances à venir, à la fois du point de vue
du sens du vote et des points de ruptures avec le capitalisme.
Je crois qu'un des noeuds de la période et qui n'a pas
été franchement mis en débat est le rapport entre mouvement
populaire ou de masse, comme on voudra, et institutions. Dans mon esprit, il
s'agit moins, en tout cas dans un premier temps, de travailler sur les institutions
de la 6° république, que de travailler sur la nature du mouvement
populaire ou si l'on préfère sa définition: doit-il à
un moment se considérer comme incompétent?.
Si je devais schématiser, je dirais qu'il est en général
conçu aussi bien par les politiques que par lui-même comme élaborant
les demandes, les portant au guichet du politique, à charge de ce dernier
d'y être fidèle. En gros, le niveau de la délégation
se déplace mais la délégation elle-même demeure.
Outre que je pense que faire reposer des espoirs en politique sur une notion
telle la fidélité aux attentes populaires est vain, les conséquences
sont considérables.
Si je dois voter pour quelqu'un qui me remplace dans des lieux de pouvoirs pour
moi inaccessibles, je vote pour celui qui a le "bras le plus long"
et souvenons-nous de la difficulté à démontrer aux régionales
que le vote pour notre liste était "un vote utile". Plus le
libéralisme cogne dur et plus les gens votent de manière opportuniste:
nous connaissons toutes et tous des personnes qui ne peuvent pas sentir le PS
mais qui au final, votent pour lui, simplement parce qu'il est fort, le PS retournant
en avantage sa proximité avec les milieux patronaux. J’ajouterai
qu’évoquer les conditions qui permettraient de soutenir un gouvernement
fait perdurer ce rapport de dépossession. Personne ne vote pour soutenir
une institution, mais pour être servit par elle. C'est sur cette base
délégataire que le PC s'est englué dans un face à
face institutionnel et c'est au fond pour les mêmes raisons que la LIgue
évacue le problème. Et c'est sur cette démarche que repose
la marche au bi- partisme marginalisant durablement tout ce qui n'est ni l'UMP
ni le PS. Enfin, c’est cette démarche qui consacre la dissociation
du social et du politique.
Si nous attendons ou donnons l'impression d'attendre de 2007, de battre la droite
et que la gauche soit à gauche, nous faisons voter socialiste; si nous
donnons l'impression que nous pensons que cette fois-ci ce n'est pas mûr,
nous faisons voter socialiste.
Le seul moyen d'en sortir est de déplacer le sens même
du vote: vote-t- on pour être bien représenté par quelqu’un
que l’on reverra de temps en temps ou vote-t-on pour un partenaire avec
lequel on travaille continuellement pour se donner à soi-même du
pouvoir, notamment celui de faire irruption dans la sphère institutionnelle?
Autrement dit, l’enjeu du processus est-il la défaite de la droite
et une victoire d’une gauche ancrée à gauche ce qui reproduit
le discours qu’avait le PC en 1997ou est-ce le passage du mouvement populaire
à la production de politique en souhaitant que cela lui permette de constituer
le plus rapidement possible une majorité politique dont le mandat sera
continuellement à renouveler ? Dans ce dernier cas, il n'est plus sûr
du tout que le vote"utile" soit en faveur du PS et le processus de
construction dont nous souhaitons parler le 5 Juin dans le cadre de CCAG prend
une autre tournure. Y compris une élection piégée comme
l'est la Présidentielle change de sens. Et c’est en cela que nous
pouvons nous appuyer sur une première expérience collective de
passage au politique malgré et contre l’appareillage institutionnel.
Je pense nécessaire d’entamer un travail collectif et public qui
rend plus précise cette problématique à la fois parce qu’elle
peut contribuer à établir un autre rapport entre ce qui est de
l’ordre du mouvement citoyen et la sphère « parti »
; il faut commencer ce travail d’autant plus rapidement qu’il faudra
du temps pour changer de culture, je pense y compris à ce que je perçois
de « voter Y » ou de dossiers 2007. Personnellement j’ai souvent
dit que les prochains enjeux électoraux allaient avoir des conséquences
structurantes, mais pour qu’ils structurent un renouveau de l’appropriation
collective du politique, je ne suis pas sûr que la meilleure manière
de les affronter consiste à y foncer tête baisser en se laissant
enfermer dans une règle du jeu fondée sur la délégation
; rien ne nous interdit de subvertir une règle du jeu que l’on
trouve mauvaise. Enfin je pense que c’est une clé qui devrait permettre
de systématiser nos expériences et de l’étendre à
l’espace syndical, dans la mesure où sans le perdre de vue, l’objectif
premier n’est pas la constitution d’un gouvernement mais d’un
mouvement d’appropriation de pouvoirs. . D’où à mon
sens, la nécessité que la journée du 5 juin de CCAG commence
à avancer sur la définition d’un tel enjeu.
Comme j’ai conscience du caractère encore brouillon et approximatif
de mes propos, je propose que nous constituions un groupe de travail sur cette
question, qui soit en situation d’être un peu plus précis
d’ici le 5 juin.
Seconde question : où se situent les ruptures avec le
capitalisme ? Dans mon esprit il s’agit moins d’élaborer
un programme de propositions, ce qui me semble mettre la charrue avant les bœufs,
mais de construire des principes moteurs de la société d’où
pourront découler des propositions programmatiques. A mes yeux, il s’agit
de commencer à de rendre le plus claires possible des conditions qui
rendent crédible ce qui peut apparaître seulement comme du rêve
et montrer à celles et ceux qui sont en situation de le percevoir que
l’on peut penser autrement qu’à travers le prisme du capitalisme.
Il s’agit de la constitution progressive d’une culture qui serve
de cadre aux réflexions immédiates des femmes et des hommes en
lutte ou en recherche d’alternative.
Pour me faire comprendre je veux prendre quelques exemples qui n’ont rien
d’une liste qui serait exhaustive.
Dépassement de tout rapport de dominations. Pour moi, c’est une
clé décisive. J’y mets les rapports sexués ; les
rapports sociaux fondés sur la soumission à l’Ecole, dans
l’entreprise ; le dépassement d’une conception qui assimile
dans toutes les sphères de la société efficacité
à rapports de subordination. Rapports à l’autorité.
Que disons-nous de l’état, de la maîtrise publique ?
Comment aborder les question qu’entraînent les flux de migrations
soit anciens soit récents : en fait-on un handicap ? l’enjeu d’une
solidarité qui confine à la charité ? Ou un enjeu d’unité
du peuple permettant de dépasser l’ambiguïté de classe
qu’à engendré la nationalité et l’unicité
de la nation dans le cadre du capitalisme au XIX° siècle et redonnant
priorité aux rapports de classes et de dominations ?
Les rapports travail/hors travail, le développement des connaissances,
et les responsabilité de la société envers chacune et chacun
de ses membres en matière de rémunération.
Droit à la ville. Qu’est-ce que cela veut dire et comment en assurer
la maîtrise par tous ?
Sur un autre mode de développement. Cette question n’est pas posée
uniquement dans le cadre d’espaces intellectuels : il y a les termes dans
lesquels la pose l’écologie, mais pas seulement, elle traverse
de nombreux débats et de nombreuses luttes. Que fait-on de la notion
« d’efficacité » ? Comment abordons-nous de manière
plus précise les rapports au monde et la construction européenne
?
Notre conception de la laïcité.
Qu’est-ce que pour nous la démocratie ? Calme plat ou une manière
de « gérer » les contradictions et les conflits qui existent
dans toute société ? Peut-on se contenter d’évoquer
comme décisions démocratiques des décisions prises à
la majorité ? Que deviendraient alors les choix par exemple de dépenses
de santé pour les maladies dites orphelines c'est-à-dire rares
? Quid du rapport individu/ collectif
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P.Z. mai 2005