Je publie ce texte de P. Zarka, écrit durant la campagne du referedum de 2005, pour alimenter la réflexion dans le mouvement du « Non » de gauche et dont les préoccupations me semblent être en rapport avec celles du texte de I. Johsua (au titre « évangélique » mais qui ne l’est pas) « La révolution selon K. Marx ». (G.S)


Pierre Zarka :


Après le 29 mai ?



(Ce que j’attends personnellement de la réunion de Convergence Citoyenne pour une Alternative à Gauche (CCAG)).


Sans aplatir les enjeux du référendum dont l’issue déterminera la dynamique politique qui suivra et donc l’acuité avec laquelle les question d’alternative se poseront, je crois que l’on peut dire que de toute façon, la nature des problèmes politiques sera la même d’autant que le NON ne sera pas laminé ni ne fera de la figuration et qu’il résultera d’une mobilisation politique qui s’affranchit même si ce n’est encore que partiel, de la tutelle de la vie politique institutionnelle. Une expérience collective nouvelle émerge.
Des collectifs du Non s’interrogent déjà sur comment continuer le combat anti- libéral après le 29 mai ; le PC envisage de poursuivre la démarche suivie depuis plusieurs mois dans chaque localité, en incluant dans le mouvement de rassemblement possible le dispositif qu’il avait initialement prévu, il se réunira le 11 juin ; les Alternatifs sont disponibles, la LCR est dans un débat qui témoigne qu’elle est entre l’expérience des collectifs unitaires du NON et une aspiration à affirmer son appareil en dehors du rassemblement, des pans entiers des verts et du PS vont se chercher ; un nombre nouveau de syndicalistes auront fait l’expérience d’avoir partagé un combat politique même si l’on connaît les limites de l’engagement des organisations en tant que telle.
Je pense que nous devrions travailler à préciser ce que nous attendons des échéances à venir, à la fois du point de vue du sens du vote et des points de ruptures avec le capitalisme.

Je crois qu'un des noeuds de la période et qui n'a pas été franchement mis en débat est le rapport entre mouvement populaire ou de masse, comme on voudra, et institutions. Dans mon esprit, il s'agit moins, en tout cas dans un premier temps, de travailler sur les institutions de la 6° république, que de travailler sur la nature du mouvement populaire ou si l'on préfère sa définition: doit-il à un moment se considérer comme incompétent?.
Si je devais schématiser, je dirais qu'il est en général conçu aussi bien par les politiques que par lui-même comme élaborant les demandes, les portant au guichet du politique, à charge de ce dernier d'y être fidèle. En gros, le niveau de la délégation se déplace mais la délégation elle-même demeure. Outre que je pense que faire reposer des espoirs en politique sur une notion telle la fidélité aux attentes populaires est vain, les conséquences sont considérables.
Si je dois voter pour quelqu'un qui me remplace dans des lieux de pouvoirs pour moi inaccessibles, je vote pour celui qui a le "bras le plus long" et souvenons-nous de la difficulté à démontrer aux régionales que le vote pour notre liste était "un vote utile". Plus le libéralisme cogne dur et plus les gens votent de manière opportuniste: nous connaissons toutes et tous des personnes qui ne peuvent pas sentir le PS mais qui au final, votent pour lui, simplement parce qu'il est fort, le PS retournant en avantage sa proximité avec les milieux patronaux. J’ajouterai qu’évoquer les conditions qui permettraient de soutenir un gouvernement fait perdurer ce rapport de dépossession. Personne ne vote pour soutenir une institution, mais pour être servit par elle. C'est sur cette base délégataire que le PC s'est englué dans un face à face institutionnel et c'est au fond pour les mêmes raisons que la LIgue évacue le problème. Et c'est sur cette démarche que repose la marche au bi- partisme marginalisant durablement tout ce qui n'est ni l'UMP ni le PS. Enfin, c’est cette démarche qui consacre la dissociation du social et du politique.
Si nous attendons ou donnons l'impression d'attendre de 2007, de battre la droite et que la gauche soit à gauche, nous faisons voter socialiste; si nous donnons l'impression que nous pensons que cette fois-ci ce n'est pas mûr, nous faisons voter socialiste.

Le seul moyen d'en sortir est de déplacer le sens même du vote: vote-t- on pour être bien représenté par quelqu’un que l’on reverra de temps en temps ou vote-t-on pour un partenaire avec lequel on travaille continuellement pour se donner à soi-même du pouvoir, notamment celui de faire irruption dans la sphère institutionnelle? Autrement dit, l’enjeu du processus est-il la défaite de la droite et une victoire d’une gauche ancrée à gauche ce qui reproduit le discours qu’avait le PC en 1997ou est-ce le passage du mouvement populaire à la production de politique en souhaitant que cela lui permette de constituer le plus rapidement possible une majorité politique dont le mandat sera continuellement à renouveler ? Dans ce dernier cas, il n'est plus sûr du tout que le vote"utile" soit en faveur du PS et le processus de construction dont nous souhaitons parler le 5 Juin dans le cadre de CCAG prend une autre tournure. Y compris une élection piégée comme l'est la Présidentielle change de sens. Et c’est en cela que nous pouvons nous appuyer sur une première expérience collective de passage au politique malgré et contre l’appareillage institutionnel.
Je pense nécessaire d’entamer un travail collectif et public qui rend plus précise cette problématique à la fois parce qu’elle peut contribuer à établir un autre rapport entre ce qui est de l’ordre du mouvement citoyen et la sphère « parti » ; il faut commencer ce travail d’autant plus rapidement qu’il faudra du temps pour changer de culture, je pense y compris à ce que je perçois de « voter Y » ou de dossiers 2007. Personnellement j’ai souvent dit que les prochains enjeux électoraux allaient avoir des conséquences structurantes, mais pour qu’ils structurent un renouveau de l’appropriation collective du politique, je ne suis pas sûr que la meilleure manière de les affronter consiste à y foncer tête baisser en se laissant enfermer dans une règle du jeu fondée sur la délégation ; rien ne nous interdit de subvertir une règle du jeu que l’on trouve mauvaise. Enfin je pense que c’est une clé qui devrait permettre de systématiser nos expériences et de l’étendre à l’espace syndical, dans la mesure où sans le perdre de vue, l’objectif premier n’est pas la constitution d’un gouvernement mais d’un mouvement d’appropriation de pouvoirs. . D’où à mon sens, la nécessité que la journée du 5 juin de CCAG commence à avancer sur la définition d’un tel enjeu.
Comme j’ai conscience du caractère encore brouillon et approximatif de mes propos, je propose que nous constituions un groupe de travail sur cette question, qui soit en situation d’être un peu plus précis d’ici le 5 juin.

Seconde question : où se situent les ruptures avec le capitalisme ? Dans mon esprit il s’agit moins d’élaborer un programme de propositions, ce qui me semble mettre la charrue avant les bœufs, mais de construire des principes moteurs de la société d’où pourront découler des propositions programmatiques. A mes yeux, il s’agit de commencer à de rendre le plus claires possible des conditions qui rendent crédible ce qui peut apparaître seulement comme du rêve et montrer à celles et ceux qui sont en situation de le percevoir que l’on peut penser autrement qu’à travers le prisme du capitalisme. Il s’agit de la constitution progressive d’une culture qui serve de cadre aux réflexions immédiates des femmes et des hommes en lutte ou en recherche d’alternative.

Pour me faire comprendre je veux prendre quelques exemples qui n’ont rien d’une liste qui serait exhaustive.
Dépassement de tout rapport de dominations. Pour moi, c’est une clé décisive. J’y mets les rapports sexués ; les rapports sociaux fondés sur la soumission à l’Ecole, dans l’entreprise ; le dépassement d’une conception qui assimile dans toutes les sphères de la société efficacité à rapports de subordination. Rapports à l’autorité. Que disons-nous de l’état, de la maîtrise publique ?

Comment aborder les question qu’entraînent les flux de migrations soit anciens soit récents : en fait-on un handicap ? l’enjeu d’une solidarité qui confine à la charité ? Ou un enjeu d’unité du peuple permettant de dépasser l’ambiguïté de classe qu’à engendré la nationalité et l’unicité de la nation dans le cadre du capitalisme au XIX° siècle et redonnant priorité aux rapports de classes et de dominations ?
Les rapports travail/hors travail, le développement des connaissances, et les responsabilité de la société envers chacune et chacun de ses membres en matière de rémunération.

Droit à la ville. Qu’est-ce que cela veut dire et comment en assurer la maîtrise par tous ?

Sur un autre mode de développement. Cette question n’est pas posée uniquement dans le cadre d’espaces intellectuels : il y a les termes dans lesquels la pose l’écologie, mais pas seulement, elle traverse de nombreux débats et de nombreuses luttes. Que fait-on de la notion « d’efficacité » ? Comment abordons-nous de manière plus précise les rapports au monde et la construction européenne ?

Notre conception de la laïcité.

Qu’est-ce que pour nous la démocratie ? Calme plat ou une manière de « gérer » les contradictions et les conflits qui existent dans toute société ? Peut-on se contenter d’évoquer comme décisions démocratiques des décisions prises à la majorité ? Que deviendraient alors les choix par exemple de dépenses de santé pour les maladies dites orphelines c'est-à-dire rares ? Quid du rapport individu/ collectif
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P.Z. mai 2005